Fin de vacances
Je vaque tranquillement à mon absence d’occupations, vantant à d’autres claviers interposés la saine vie que je mène depuis quelques temps, lorsque, comme exprès pour rendre mes propos ridicules et dépassés, Angel m’annonce une expédition prévue à Hell Air ce soir même. Nous voilà donc bientôt titubantes mais moins gaies qu’à l’ordinaire dans les rues connues par cœur. J’ai retrouvé ma voix et mon odorat mais une toux de tuberculeuse me secoue tout le corps, régulièrement. Quelqu’un me demande à quel lycée je suis, je m’exclame, ai-je vraiment l’air si jeune, il s’excuse, n’a visiblement pas remarqué que je suis plus ravie qu’outragée. Je mange des frites à la moutarde, discute avec le frère d’Angel, compare ma garde à vue avec la sienne, style Anciens Combattants, et puis en baissant les yeux, je réalise que ma main droite est couverte de sang, sillonnée par un étrange quadrillage écarlate et dégoulinant que je contemple un moment parce que c’est joli. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui m’est arrivé, et quand on me pose la question, j’éclate de rire, tandis que tout le monde crie ou grimace de dégoût et cherche à me passer des mouchoirs. La bouteille de vodkacoca a disparu, roulé dans le caniveau. Plus tard dans la soirée, je m’arc-boute moi aussi dans ce caniveau, faire sortir le trop-plein pour aller mieux après, trois plombes que je n’ai pas été malade, je me fourre deux doigts au fond de la gorge pour m’aider et je gerbe, gerbe mon enfance perdue, mon adolescence foutue, mon impossibilité aux relations humaines, gerbe la vision de mon père en train de se battre avec ma sœur, et ma mère qui ne fait rien, gerbe cet été d’orgies et de tourbillons de joie éthylique pour mieux distancer la tristesse, dans un grand flot de nourriture à moitié digérée et d’alcool. Je m’allonge dans les bras d’un garçon que je ne connais pas mais qui, lui, m’a déjà vue, même que je portais un chapeau ce soir-là, qui me caresse les cheveux et se montre absolument adorable. Encore plus tard, je suis dans un parking à écouter le Klub des Loosers, TTC et compagnie, et le frère d’Angel me tend un joint que je prends pour chasser ce goût désagréable de ma bouche.
Demain, j’arrête, juré. Non, pas demain, aujourd’hui, dans la mesure où j’ai à peu près autant envie de boire de l’alcool, là maintenant, tout de suite, que d’aller m’engager chez les scouts.